Les périodes sensibles chez l’enfant selon Maria Montessori

Grâce à son long travail d’observation, Maria Montessori a pu mettre en évidence l’existence chez l’enfant de périodes sensibles innées. Pour l’illustrer, la pédagogue italienne fait une comparaison avec le règne animal : il existe une période dans le développement de la chenille où celle-ci est attirée par la lumière pour aller manger les feuilles les plus jeunes et tendres qui se trouvent vers l’extrémité des branches. Cette attirance est totalement innée et limitée dans le temps. Ainsi, une fois que la chenille a grandi et peut manger des feuilles plus dures, cette sensibilité à la lumière disparaît.

De même, l’enfant entre 0 et 6 ans présente des périodes d’extrême sensibilité à certains stimuli, durant lesquelles il est très enclin à développer certaines compétences. Ces périodes sensibles attirent l’enfant vers certains aspects de son environnement afin de l’aider à créer ou acquérir des fonctions et caractéristiques humaines. Maria Montessori comparent ces périodes à “un phare qui éclaire la nature intérieure, ou un courant électrique qui produit des phénomènes actifs”.

Maria Montessori a identifié six périodes sensibles qui jalonnent le développement de l’enfant entre 0 et 6 ans : 

  • La période sensible du langage : cette période sensible est parmi les plus longues, elle couvre quasiment toute la période entre 0 et 6 ans 

  • La période sensible de l’ordre : entre 1 et 3 ans

  • La période sensible du raffinement des sens ou du raffinement de la perception sensorielle : entre 0 et 5 ans

  • La période de sensibilité aux petits objets : entre 1 et 2 ans

  • La période sensible du mouvement coordonné : entre 18 mois et 4 ans

  • La période sensible du comportement social : entre 2 ½ et 6 ans

1- la période sensible du langage

Le langage est une véritable caractéristique humaine : c’est ce qui nous différencie des animaux et nous rend uniques au sein du règne animal. “Le langage est d’une telle importance dans la vie sociale que nous pouvons considérer qu’il en est la base même. Il permet aux hommes de s’unir en groupes, en nations. Il détermine cette évolution du milieu que nous appelons la “civilisation”. “  

Il n’existe aucun autre langage qui attire autant l’enfant que la voix humaine. Cette attraction est innée. Ainsi, le bébé tourne sa tête vers la voix de sa mère ou de son père, il regarde la bouche qui parle. Grâce à son esprit absorbant, il mémorise spontanément et sans effort les différents éléments (lexique, syntaxe, grammaire…) de sa langue maternelle quelle que soit sa complexité. “La langue peut être compliquée, comporter beaucoup d’exceptions aux règles, l’enfant qui absorbe l’apprend intégralement”. Tel un appareil photo qui enregistre une image dans les moindres détails et de manière instantanée, l’esprit humain mémorise tous les aspects linguistiques et les fixe à jamais dans “la profonde obscurité de l’inconscient” (la Mnémé). 

La période sensible du langage comprend ainsi plusieurs phases: une première attraction pour la voix, puis pour les sons, les mots, enfin pour la structure des phrases. Cette période sensible est d’abord invisible, intérieure à l’enfant qui écoute, regarde la bouche des gens qui l’entourent. C’est une phase d’absorption non visible.  S’appuyant sur les travaux d’Itard avec le jeune Victor, “enfant sauvage de l’Aveyron”, Maria Montessori souligne combien le contact avec le langage humain pendant les périodes sensibles est important. Si, comme Victor, un enfant n’est pas immergé dans un environnement de langage dès sa petite enfance, il ne pourra jamais développer une compétence de langage complète.

Dès lors, il est primordial de mettre à profit les six premières années de la vie pour maximiser cette période sensible du langage. La responsabilité de l’adulte est grande dans la mesure où c’est dans ses interactions avec l’enfant qu’il va permettre à ce dernier d’acquérir un langage riche et lui faire comprendre que le langage est outil de communication. 

L’adulte doit donc fournir à l’enfant un langage soutenu, riche et varié, et éviter le langage “bébé”; il doit aussi laisser l’enfant s’exprimer pour qu’il puisse mettre en pratique sa compétence de langage. Dans les écoles Montessori, les activités de langage sont nombreuses et variées pour permettre aux enfants entre 2 ans ½  et 6 ans de déployer tout leur potentiel de langage : jeu des sons, cartes classifiées, poèmes et chants, histoires… Cette période sensible du langage est aussi une excellente opportunité pour développer le bilinguisme chez l’enfant en lui apprenant une autre langue que sa langue maternelle. Grâce à l’exposition régulière à une autre langue, l’enfant acquiert de manière naturelle et spontanée la maîtrise d’abord orale puis écrite de deux langues, tant au niveau de la syntaxe que de la mélodie : l’enfant mémorise la musicalité des langues sans difficulté, ce qui lui permet d'acquérir un accent parfait. 

2- La période sensible pour l’ordre

Elle se déroule entre 1 et 3 ans et constitue l’une des périodes les plus importantes et mystérieuses chez les enfants. L’enfant construit son ordre intérieur sur la base de l’ordre extérieur. C’est l’ordre extérieur qui lui permet d’affiner sa compréhension de l’environnement et qui l’aide à construire son ordre intérieur. 

L’ordre dont parle Maria Montessori n’est pas un ordre superficiel du type “la maison doit être rangée”. Ce n’est pas un ordre purement esthétique. “L’ordre des choses, c’est connaître la place de chacune d’elles; c’est se rappeler l’endroit où chaque objet se trouve, c’est-à-dire être capable de s’orienter dans l’ambiance, la posséder dans tous ses détails”. 

C’est pourquoi dans les écoles Montessori, chaque activité, chaque objet a sa place et les enfants sont invités dès leur plus jeune âge à remettre à sa place chaque objet après l’avoir utilisé. Tout est disposé de manière logique, du plus simple au plus complexe. L’adulte doit lui aussi être ordonné dans sa façon de présenter les activités aux enfants. Le respect de l’ordre est ainsi l’une des valeurs cardinales de l’ambiance montessorienne. Au-delà de la dimension purement physique de l’ordre, les enfants ont également besoin de routine : le bain, l’histoire avant de se coucher… L’ordre et les routines au sein du foyer renforcent la sécurité intérieure de l’enfant, et lui permettent de prendre confiance en lui et en l’environnement qui l’entoure. 

3- La période sensible du raffinement des sens se manifeste de 0 à 5 ans.

Nos sens jouent un rôle primordial dans notre développement dans la mesure où ils nous permettent de nous connecter à notre environnement. Nos sens sont des ponts, des passerelles entre nous et notre environnement. C’est à travers nos sens que nous percevons et comprenons le monde qui nous entoure.  Plus nos perceptions seront précises et exactes, plus notre compréhension du monde l’est aussi. 

Pour Maria Montessori, tout ce qui passe par les sens va dans l’esprit. Ainsi, “l’instituteur doit intervenir pour amener l’enfant des sensations aux idées (concrètes et abstraites) et aux associations d’idées, par une méthode propre à isoler l’attention intérieure de l’enfant sur les perceptions”.  

Dans les écoles Montessori, le matériel sensoriel est conçu de façon à permettre à l’esprit de l’enfant de classifier, ordonner les informations concernant le monde. L’enfant doit pouvoir sentir, toucher, voir, goûter une grande variété de choses. Tout le travail concret que l’enfant réalise entre 3 et 6 ans lui permet d’ordonner les perceptions qu’il reçoit du monde extérieur, et de construire ainsi un esprit clair et organisé, de soutenir son intellect.  L’éducation des sens est véritablement à la base du développement intellectuel de l'individu. 

4- La période sensible pour les petits objets

Entre l’âge de 1 et 2 ans, l’enfant développe également une sensibilité particulière pour les détails et les petits objets. C’est une période que l’on peut l’observer facilement : en promenade, les enfants aiment observer les fourmis, les petits cailloux …Tout ce qui est petit attire leur attention. On est dans la période du “Small is beautiful”. Cette période touche à sa fin quand cette sensibilité a été assouvie ou bien quand l’enfant atteint environ l’âge de 2 ans. Cette période sensible a donc disparu quand l’enfant arrive à l’école. L’école n’a plus de rôle majeur à jouer pour soutenir cette sensibilité. En revanche, les adultes qui entourent l’enfant entre 1 et 2 ans doivent donner de leur temps pour que ce dernier puisse explorer les détails de son environnement. Cela exige de la patience et de la compréhension, mais c’est indispensable pour le bon développement de l’enfant. 

5- La période sensible du mouvement coordonné

La cinquième période sensible est celle du mouvement coordonné, qui se déroule entre 18 mois et 4 ans. L’enfant ne naît pas avec un mouvement coordonné. Il l’acquiert progressivement grâce à beaucoup d’effort et de pratique, de temps et de maturation biologique. Maria Montessori souligne que “ l’enfant est habitué à utiliser ses mains bien avant qu’il ne soit capable de marcher, et même plusieurs mois avant ses pieds. Ainsi les mains peuvent être “éduquées” à cet âge seulement si lui sont offertes les occasions appropriées”. Ainsi, dès le plus jeune âge, l'enfant a besoin d’activités appropriées pour l’aider à développer la dextérité de ses mains, ainsi que sa coordination oeil-main. Pour autant, c’est véritablement à partir de 18 mois, lorsqu'il a acquis une certaine autonomie par la marche, que l’enfant entre dans une période de mouvement intense. Il recherche alors “l’effort maximum” et aime les défis. “C’est ce que nous appelons la hormé, cet élan qui pousse l’enfant à déployer un maximum d’effort, d’évoluer dans son environnement et de réaliser ces mouvements difficiles”. L’enfant a besoin de transporter des objets lourds, de monter les escaliers ou d’effectuer des mouvements compliqués (porter une carafe remplie d’eau…). 

Maria Montessori recommande de donner à l’enfant une certaine liberté de mouvement. Le mouvement coordonné se développe par la pratique; il faut donc que l’enfant bouge et développe ce mouvement par sa propre expérience. Par ailleurs, dans la mesure où l’enfant imite les mouvements des autres humains (cf les enfants sauvages qui marchent à 4 pattes car ils n’observent pas de bipèdes), il est important de donner à l’enfant l’occasion de participer aux activités de la vie quotidienne (cuisiner, couper, déchirer, porter…). Dans les écoles Montessori, il existe de nombreuses activités de La Vie pratique qui répondent à ce besoin de coordination de mouvements. On propose ainsi aux enfants des activités avec un but, c’est-à-dire une chose à faire, un objectif à atteindre. En outre, le fait que les objets soient de vrais objets, donc souvent cassables, incite l’enfant à perfectionner ses gestes. Mais pour l'enfant, il existe aussi un but interne. Les enfants répètent une activité car ils ont envie de développer cette coordination, par exemple en mettant leurs chaussures, en nouant leurs lacets...L’enfant est poussé par cette force intérieure. L'adulte doit respecter ce besoin et laisser à l’enfant le temps de répéter ces mouvements. 

6- La période sensible du comportement social

La sixième et dernière période sensible est celle du comportement social. Entre 3 et 6 ans, l’enfant est très intéressé par les codes sociaux de son environnement et a besoin d’interactions sociales en dehors de la maison. “Les enfants ont besoin de la compagnie d’autres jeunes de leur âge. Ils jouent ensemble dans la rue, dans la ferme ou dans le jardin. C’est à cet âge que commence l’école.” Avec leurs groupes d’âges mélangés, les écoles Montessori répondent à ce besoin social : les enfants de 3 à 6 ans vivent ensemble dans une même ambiance et forment une mini-communauté. Ces enfants partagent le même besoin d’interaction. En outre, grâce aux activités de grâce et courtoisie, aux jeux dans le domaine sensoriel, aux jeux de présentation à l’oral, les écoles Montessori fournissent de nombreuses occasions de répondre à ce besoin d’interaction et de d’apprentissage des codes sociaux.  

Pour en savoir plus

  • M. Montessori (2006), L’Enfant, Paris : Desclée de Brouwer

  • M. Montessori (2010), L’esprit absorbant de l’enfant, Paris : Desclée de Brouwer

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